[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Publié le 09 novembre 2011 à 06h35 | Mis à jour à 09h38
Braquages en série dans les bars branchés
Hugo Meunier
La Presse
La Presse a dénombré plus d'une douzaine de braquages violents dans des bars et restaurants de Montréal au cours des derniers mois. Si la police refuse de parler d'une vague, le milieu des bars est sur les dents et se demande quel établissement sera le prochain.
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Les voleurs ont frappé dans des endroits tels que l'Edgar Hypertaverne, le Gainzbar, le Bily Kun, le Helm, Chez Roger, le Dieu du ciel! et le Philémon, des endroits populaires, qui ne sont pratiquement jamais associés à des actes criminels.
Le dernier braquage remonte à dimanche soir, au chic restaurant Laloux, avenue des Pins. Deux individus armés au visage masqué ont séquestré un maître d'hôtel et un plongeur, avant de filer avec l'argent du coffre-fort.
Aucun lien entre ce vol et les précédents n'a été établi. Le modus operandi des voleurs est chaque fois le même.
Dans plusieurs cas, les employés sont menacés d'une arme à feu ou ligotés. Les vols surviennent généralement après la fermeture, lorsqu'il ne reste que deux ou trois employés. Les voleurs frappent souvent le dimanche, une façon de s'enfuir avec les recettes du week-end, qui s'élèvent à plusieurs milliers de dollars.
Curieusement, cette série de vols n'a pas fait trop de bruit jusqu'à présent.
Elle est pourtant sur toutes les lèvres dans le milieu des bars. D'autant plus que plusieurs propriétaires visés se connaissent bien et sont des partenaires d'affaires. «Ça fait 14 ans que je suis dans le milieu et je ne me suis jamais fait voler 5$. Tout d'un coup, il y a plein de braquages et on [les propriétaires] est tous reliés. Je ne vois pas ça comme un hasard», raconte Fabien Lacaille, propriétaire du Bily Kun.
Le populaire bar de l'avenue du Mont-Royal s'est fait braquer en plein week-end de l'Action de grâce, moins d'une heure après la fermeture. Deux employés étaient sur place lorsque quatre individus cagoulés ont forcé l'entrée.
«Tout le monde est un peu sur les nerfs»
Moins de deux semaines plus tôt, des employés de la brasserie Dieu du ciel! ont subi sensiblement le même sort, avenue Laurier. Un des barmans séquestrés au Bily Kun croit d'ailleurs avoir reconnu ses agresseurs sur des images tirées des caméras de surveillance de la microbrasserie Dieu du ciel!
Même si le vol au Helm Brasseur Gourmand remonte à la fin du mois de juillet, la propriétaire admet que les événements ont laissé des traces. «Tout le monde est un peu sur les nerfs», constate Pétula Laliberté, dont deux des employés ont été séquestrés par trois hommes durant presque 30 minutes (voir autre texte).
Depuis, Mme Laliberté a élevé la sécurité d'un cran. Les employés redoublent de vigilance.
Des endroits clean
«Ce sont des places clean. Les voleurs savent que personne ne nous protège», indique Éric Lefrançois, propriétaire du Philémon, seul établissement du Vieux-Montréal à faire partie de la liste des endroits visés.
Même s'il est aussi un des propriétaires de l'Edgar Hypertaverne, autre établissement dévalisé, M. Lefrançois est convaincu que les voleurs ciblent les établissements et non leurs propriétaires.
Plusieurs tenanciers suggèrent que des livreurs de bière ou d'anciens employés seraient mêlés aux vols. «Ce sont des gens informés qui savent où se trouvent le bureau et le coffre-fort. Ils semblent de mieux en mieux organisés», estime Éric Lefrançois.
D'autres n'écartent pas que le crime organisé ou les gangs de rue soient derrière ces vols. «Tous les établissements attaqués sont très rentables, ont de l'argent sur place et n'ont aucun portier. Je peux comprendre l'intérêt de les dévaliser», explique Jean-Philippe Villion, propriétaire du restaurant Bofinger, avenue du Mont-Royal, cambriolé le 17 septembre.
Le vol s'est produit sous l'ancienne administration, mais M. Villion connaît bien le milieu des bars -un petit monde-, dans lequel il baigne depuis 16 ans. «À mes débuts, c'était plus rough, les motards plaçaient des revendeurs dans les établissements et on avait peur des représailles. Maintenant, les proprios ont le contrôle et ne sont plus à la merci du crime organisé», croit M. Villion.
Plusieurs propriétaires de bar ont refusé de répondre à nos questions, par peur de représailles ou pour éviter une mauvaise publicité.
Une crainte légitime, puisque les victimes n'ont pas affaire à des enfants de choeur, notamment au bar Chez Roger, où les individus ont fait feu vers le plafond en arrivant sur place.
La police: peu bavarde et critiquée
Si la série de braquages est un secret de Polichinelle dans le milieu, le Service de police de la Ville de Montréal se montre peu loquace, sous prétexte de ne pas nuire à l'enquête en cours. «On ne parle pas d'une vague, mais les voleurs ont frappé à des endroits inhabituels», reconnaît le sergent Ian Lafrenière.
La police évoque l'existence de trois groupes de suspects (voir tableau), des «concentrations», qui opéreraient de manière indépendante malgré un modus operandi semblable.
Des employés des bars ont par ailleurs critiqué le travail des policiers, déplorant notamment un manque de cohésion et de suivi.
Plusieurs ont reproché à la police d'avoir tardé avant de les mettre au parfum de ces crimes violents. «Si j'avais su que l'Edgar s'était fait braquer en juin, j'aurais redoublé de vigilance et pris les précautions nécessaires», a indiqué un tenancier dévalisé cet automne.
Même son de cloche du côté du gérant du restaurant Laloux, cambriolé il y a trois jours. «On a appris à nos dépens que le risque était élevé», indique Francis Archambault.
Personne n'a encore été arrêté en lien avec ces affaires. D'ici là, le milieu des bars retient son souffle. «Ça peut devenir dangereux, parce que les voleurs commencent à se sentir invincibles», croit Mathieu Leblanc, un des copropriétaires de la taverne Chez Normand, avenue du Mont-Royal.
Son établissement est situé à proximité de trois endroits cambriolés, dont l'Edgar, à deux portes. «C'est sûr que je m'attends à recevoir un coup de téléphone à 4h du matin...», dit M. Leblanc.