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Les sociétés militaires privées : une privatisation de la défense à ne pas sous-estimer sur les théâtres d’opérations ?
(mercredi 23 juin 2021, par Alexandre Massaux)
Les sociétés militaires privées (SMP ou ESSD) constituent un secteur économique en pleine croissance. Présentes sur la plupart des fronts d’engagements comme la Syrie, l’Irak ou l’Ukraine, elles témoignent d’une privatisation partielle du domaine régalien. Dans cette branche dominée par les Etats-Unis et la Russie, la France a des atouts.
Avec le développement de conflits à faible intensité et les missions de maintien de la paix, les SMP ont pris de l’ampleur. Lors de la guerre du Golfe de 1991, le ratio contractuel (contractor) entre privé et militaire professionnel était de 1 pour 100, puis lors de la guerre en Irak en 2003, de 1 sur 10 pour finir à 1 sur 1 en 2008. En Syrie et dans le Donbass, le groupe russe Wagner a occupé une place non négligeable sur le terrain afin d’aider les forces locales alliées à Moscou et servir de troupes de choc. L’utilisation de forces privées non officiellement liées à un Etat offre plusieurs atouts mais aussi des défis légaux. Elles participent d’une évolution de la conduite des conflits armés et de la protection des intérêts économiques.
Privatiser partiellement le régalien ?
Habituellement, la défense est considérée comme un domaine régalien à l’instar de la justice et de la police. Elles sont censées être le cœur de l’action de l’Etat. D’un point de vue libéral classique, elles doivent relever de la puissance publique car elles assurent la stabilité de la société. Pourtant, même pour ces compétences, l’apport du privé peut avoir des avantages. Comme le précise l’Ecole de guerre économique dans l’un de ses cours, les SMP permettent de répondre à certains défis contemporains : « Les solutions militaires privées sont ainsi plus souples et moins coûteuses à mettre en œuvre. Ces SMP sont en effet payées seulement en fonction des besoins ». Elles fonctionnent sur contrat, pour des missions ponctuelles que leur confie un employeur, Etat ou entreprise privée. Elles sont rapidement mobilisables, car elles échappent aux lourdeurs administratives et politiques qui entravent les forces officielles. Elles sont aussi plus discrètes et de fait, les pertes humaines qu’elles subissent, comme toute force d’intervention de métier, ont moins d’impact émotionnel dans les médias et le public. Les avantages sur le terrain sont évidents. Un exemple : en 1996, le Congrès américain avait limité à 20 000 le nombre de soldats à déployer en Bosnie. Cette restriction a pu être contournée grâce à l’envoi de contractuels privés permettant de maintenir une présence militaire plus importante dans une région sensible.
Ce secteur, dominé par les entreprises américaines et britanniques, représente désormais un poids certain au niveau économique : en 2003, il était estimé à 100 milliards de dollars par an. En 2018, il aurait été d’environ 388 milliards de dollars. A titre de comparaison, le budget alloué à la défense en 2021 par l’Etat français est de 65 milliards d’euros (soit 78 milliards dollars).
Un cadre juridique flottant
La souplesse que procure les SMP les a rendues populaires auprès des agences de renseignement. N’étant pas affiliées officiellement aux Etats, elles peuvent être chargées de missions plus souterraines, à la limite parfois de la légalité. Le groupe Wagner, qui fait souvent les titres médiatiques, en offre un exemple : officieux bras armé du Kremlin, n’appartenant pas à l’armée russe, il se voit confier des tâches particulières dans lesquelles le gouvernement peut nier toute implication directe.
Si, en 2008, le document de Montreux a été élaboré pour renforcer l’encadrement juridique des SMP et le rôle des Etats, sa valeur non contraignante limite fortement son efficacité. Dans la situation actuelle, les SMP ne sont liées qu’au droit du pays où leur siège social est installé, sauf bien entendu à dépendre du droit pénal des pays dans lesquels ils pourraient attenter aux lois.
Une place à prendre pour la France
Au début des années 2000, les SMP étaient mal perçues en France, où on les considérait comme des mercenaires. Le contexte a changé avec les conflits multiples qu’a connus la dernière décennie, contre des groupes non étatistes comme les pirates maritimes, les terroristes et autres éléments incontrôlables. Les SMP peuvent être un atout précieux pour la France. Comme le fait remarquer un rapport d’information de l’Assemblée nationale du 14 février 2012 : « Ces entreprises répondent à la loi de l’offre et de la demande. À ce titre, la recherche d’une maximisation du profit incite les prestataires à optimiser les coûts de production. Cette logique est certainement très saine pour le contractant, potentiellement le contribuable, mais invite à la plus grande vigilance sur les risques de sous-traitance en cascade ainsi que sur la nationalité d’origine et la formation des personnels. » Laisser le marché français des SMP se développer permettrait de pouvoir faire appel à des entreprises solides et fiables. Il en existe déjà, d’ailleurs : en 2015, les huit principales SMP françaises dégageaient un chiffre d’affaire estimé 360 millions d’euros. La société Défense conseil international, la principale, dont l’Etat est actionnaire à quasi 50%, domine le marché, suivie par Amarante international, Erys Group, Gallice, GEOS, Risk § Co, Scutum security first et Sovereign global France.
Nous l’avons dit, les SMP ne travaillent pas uniquement avec les Etats. Les entreprises privées font aussi appel à leurs services : par exemple en 2015, l‘entreprise anglaise G4S a décroché un contrat de 187 millions de livres avec la Basrah Gas Company pour sécuriser les champs pétroliers en Irak. La France possède de grands groupes internationaux : nul doute qu’il existe un très intéressant marché à développer.